perfect-strangers1984 est une année charnière pour le rock : tout amateur de musique sait que c’est en 1984 et pas avant et encore moins après que tout se décide. Il n’y avait pas qu’Orwell à compter : il y avait aussi le son de grosse caisse ainsi que la direction générale que prendrait la musique rock en jeu. On pouvait faire la part des choses et trier entre les irréductibles qui allaient conserver une bonne production et les autres qui allaient se vautrer dans les eighties honnies des vrais esthètes. Deep Purple allait aussi se reformer dans son line-up de la très grande époque 69-73, la formation royale. Perfect Strangers sera l’album de la réconciliation entre blackmoriens-gloveristes et lordo-paico-gillanistes.

Que dire de ce chef d’oeuvre, de ce disque qui reste une pierre de touche dans la discographie du groupe, un des rares à mériter assez largement ses 6 étoiles de LP gem à lui tout seul ? Première chose c’est qu’il est absolument parfait. Seconde chose c’est qu’il sonne curieusement plus frais et plus revitalisant que maints albums des suiveurs et des nouveaux groupes de l’époque. En 1984 Deep Purple Mark II s’est donc reformé et est devenu en toute logique (on les a laissés en 1976 avec Mark IV) Mark V. Ils sont plus vieux, leur barbe est plus drue et plus sombre. Les ventres sont plus rembourrés, un début de double menton est très net pour chacun d’entre eux. Ils sont plus aguerris, aussi. Venus respectivement de Rainbow pour Blackmore et Glover, de Black Sabbath pour Gillan, de Whitesnake pour Lord et de Gary Moore pour Paice, ils viennent de passer une dizaine de mois parmi les plus atroces de leur carrière. Cette position est bien sûr très discutable étant donné que Black Sabbath Mark III était en concert une des formations les plus extraordinaires et que Gillan fut assurément aussi grandiose que Dio, battant à plates coutures Ozzy. Etant donné aussi que l’album Slide It In de Whitesnake, l’album par lequel Lord quitta son ami le bellâtre David Coverdale, est absolument superbe. Sans oublier les quelques rares éclairs de Rainbow en live.

Catastrophique sur le papier la reformation de Mark II fut en fait absolument extraordinaire. On notera d’abord la sobriété de la pochette. Après le quadruple ratage de Who Do We Think We Are/Burn/Stormbringer/Come Taste The Band, le groupe préfère faire profil bas et éviter de faire dans l’originalité. La musique est bien différente de celle du dernier Purple en studio, l’à part Come Taste The Band : fini le rock-soul à tendances hard, revient en revanche le Hard Rock classique de Who Do We Think We Are, la bonne humeur et la fantaisie réelle et non affectée en plus. On commence avec un massive opener comme on les aime : « Knocking At Your Back Door. » Il faut du temps au morceau pour démarrer. Ce genre de retour exige une préparation mentale de l’auditeur. C’est donc Lord qui pianote sur ses synthés jusqu’à ce que, la rupture de la lutte sans fin entre la section rythmique et les deux solistes devenant irrésistible (comme sur « Tarot Woman » de Rainbow), la guitare explose et Gillan pose sa voix. Retour très net à la fantaisie et aux paroles humoristiques : on sait la manie qu’a Gillan de placer des personnages extrêmement intéressants dans ses textes. Là c’est douce Lucy la danseuse.

On poursuit avec deux titres assez complémentaires. D’abord « Under The Gun » qui requiert peut-être pour être apprécié plus d’attention et de réécoutes de la part l’auditeur. Comme pour beaucoup d’autres artistes (de Bob Seger aux Stray Cats) c’est l’ayatollah Khomeiny qui fournit l’inspiration à Ian Gillan pour des paroles absolument merveilleuses de justesse, de hargne et d’humour. Puis « Nobody’s Home » qui met plus de temps à démarrer et où les mimiques et les tics d’expression de notre chanteur préféré sont tout à fait irrésistibles. Bravo l’acteur ! On revient à plus de fraîcheur et d’innovation dans la tradition avec « Mean Streak », le titre blues-rock qui avale des kilomètres du disque. Très bonne intro en tout cas qui montre la permanence d’une section rythmique formidable au sein d’un groupe de super vétérans.

Puis c’est le titre éponyme, un monument absolument inattaquable et invieillissable : C’est un Lord à claviers remis au goût du jour qui veut ça, on peut même dire que sans lui ce titre ne serait rien ou presque. Un riff millésimé « Kashmir 75 », un chanteur à la diction bluffante, à la voix persuasive et intimidante (Can you remember remember my name ?) : c’est un chef d’œuvre. Encore un morceau absolument gigantesque avec « A Gypsy’s Kiss », l’un des deux seuls vrais titres néo-classiques du disque. Solo en forme d’autoparodie, humour des paroles (John Wayne The Alamo/Crazy Horse Geronimo/I’ll smoke a piece with you/Mind Body Heart and Soul/We got Rock and Roll/And there’s nothing they can do), diction savoureuse pour les connaisseurs. C’est fantastique. « Wasted Sunsets », c’est le slow rock de l’album, celui aussi où Gillan chante le mieux et où les accents mélancoliques de sa voix sont les plus déchirants de tout le disque.

Avec « Hungry Daze » on est déjà rendu au huitième morceau : la fin de l’album. Le riff est pour le moins particulier : tous les instruments peuvent le tenir, y compris la batterie. Ce morceau est censé être la relation par Gillan de l’histoire du groupe depuis 69. Avec « Hungry Daze » revient la tendance du hard rock dont Purple est l’inventeur : la tendance à l’autocélébration et au clin d’oeil rétrospectif, à la nostalgie d’un temps perdu à jamais, d’une époque révolue et mythique. Les acheteurs de la réédition CD ont aussi droit à deux autres titres : « I’m Not Responsible », très sombre, reposant beaucoup sur la basse de Glover et sur le duel entre le chanteur et son guitariste. Jamais la haine n’avait été aussi palpable entre les deux leaders naturels du groupe. Avec « Son Of Alerik » enfin on se trouve face à un instrumental long (10 minutes), tortueux et assez inutile : trop de distorsion, trop de passages inutiles et trop de répétitions.

Conclusion : Deep Purple à l’instar des nobles de 1814 n’avait rien oublié et rien appris, groupe conscient de ses limites et savant parfaitement qu’il était inatteignable et de toute façon qu’il aurait été résolument intempestif en 84 (l’année de Powerslave, l’année de Ride the Lightning !!!) de réitérer l’exploit de Machine Head, le chef d’oeuvre absolu du heavy metal anglais. Au lieu d’arborer des make-up et du strass à la Culture Club, de faire des vidéo clips et de rendre sa musique FMo-compatible à la Dire Straits ou à la Def Leppard, Purple proposa une monarchie aristocratique, un neo-classical heavy rock à la fois caustique et moderne. Perfect Strangers est vraiment avec Machine Head, Burn, Come Taste The Band et Purpendicular un des plus grands albums de Deep Purple. Un album 6 étoiles à absolument posséder, une pierre angulaire du Hard Rock.

Auteur: Captain Cody

Tracklist:
1. Knocking At Your Back Doo
2. Under The Gun
3. Nobody’s Home
4. Mean Streak
5. Perfect Strangers
6. A Gypsy’s Kiss
7. Wasted Sunsets
8. Hungry Daze
9. Not Responsible (bonus tTrack)
10. Son Of Alerik (bonus track)

Musiciens:
Ritchie Blackmore-Guitare
John Lord-Claviers
Ian Gillan-Chant
Roger Glover-Basse
Ian Paice-Batterie

Producteur: Roger Glover & Deep Purple

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