cheaptrick1978De la même manière qu’on reconnaît généralement un grand cru de Toto au fait que sa pochette reprend la symbolique du glaive, on reconnaît un grand album de Cheap Trick à la présence de ses deux beaux gosses – en l’occurrence Robin Zander et Tom Petersson – au recto tandis que ses deux affreux jojos – Rick Nielsen et Bun E. Carlos – font tapisserie au verso en soignant habituellement une posture aussi comique que possible. Sur le précédent album, « In Color », nos deux clowns s’affichaient au dos de l’album sur de ridicules pétrolettes pendant que Zander et Petersson se la jouaient « Équipée Sauvage » sur leurs grosses cylindrées. Sur « Heaven Tonight », rebelote : alors que le chanteur et le bassiste se montrent à peu près à leur avantage sur la pochette, on découvre au dos du disque qu’ils sont dans des toilettes publiques et que Nielsen et Carlos finissent de se préparer, l’un en se brossant les dents, l’autre en ajustant sa cravate.

De ces quelques considérations, vous devinerez si besoin était la qualité que je prête à ce troisième album des Américains. Il suffit pour commencer de constater le contenu de la première face de l’album, avec un chapelet de titres qui s’imposeront dans le répertoire de Cheap Trick comme des classiques, tous plus ou moins construits selon la même formule qui fait du groupe une sorte de progéniture turbulente et facétieuse des BEATLES. Il y a quelque chose de punk dans l’attitude de ces quatre musiciens, mais pas dans le sens où ils n’auraient rien d’autre à offrir que l’énergie de leur désespoir ; si Cheap Trick a quelque chose de punk, c’est d’abord dans sa façon de faire voler en éclat l’excès de sérieux et de prétention qu’on rencontre très couramment dans le rock. Dans ce sens, Cheap Trick piétine allègrement les conventions, mais n’en oublie pas pour autant de composer de la musique qui tient la route, et de l’interpréter avec sérieux et application. Nous n’avons pas affaire à des manches, Nielsen a beau faire le pitre, c’est un guitariste qui en renverrait beaucoup à leurs études, et Robin Zander est loin de n’être qu’un brailleur, c’est un chanteur qui maitrise son sujet, et que la nature a doté d’un timbre qu’on ne risque guère de confondre avec celui d’un autre. Et prétendre que les deux autres larrons, plus discrets, sont à l’avenant, n’est je pense pas trop m’avancer. Le mot d’ordre de Cheap Trick semble être de se fendre la poire, mais de le faire sans se foutre du monde.

En découle une nouvelle fois un album avec peu de temps morts, un peu hors de son temps (le parfum 60’s sur des titres comme la reprise de THE MOVE, « California Man », « On The Radio » ou « How Are You ? ») sans paraître dépassé bien au contraire ; un album fait de titres où l’énergie et la bonne humeur le disputent à l’efficacité mélodique, et particulièrement celle des refrains, taillés pour enflammer les foules en concert (« Surrender », « On Top Of The World », « High Roller », « Stiff Competition », « How Are You ? »), ce qu’ils ne manqueront d’ailleurs pas de faire, comme nous pourrons plus tard le constater sur les deux volumes du live « At Budokan ». Mais comme il le montrera fréquemment tout au long de sa longue discographie, le groupe sait aussi mettre un frein à ses facéties, et composer des chansons plus sobres, c’est ici le cas de la ballade mélancolique « Heaven Tonight », bien dans l’esprit de son temps, et très réussie.

L’album fera son chemin mais ne réalisera pas pour autant des scores faramineux aux États-Unis (disque d’or à l’époque tout de même, et plus d’un million d’exemplaires de nombreuses années plus tard). Mais le groupe n’était-il pas trop en décalage avec les aspirations du public américain ?

Tracklist :
1. Surrender
2. On Top Of The World
3. California Man (THE MOVE)
4. High Roller
5. Auf Wiedersehen
6. Takin’ Me Back
7. On The Radio
8. Heaven Tonight
9. Stiff Competition
10. How Are You?
11. Oh Claire

Musiciens :
Robin Zander : chant, guitare
Rick Nielsen : guitare, choeurs
Tom Petersson : basse, choeurs
Bun E. Carlos : batterie
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Jai Winding : clavier

Production : Tom Werman

Label : Epic